Le cadre de notre projet est l’étude des
dangers de la cohabitation entre les espèces sauvages et domestiques à
travers l’exemple de la cécité du chamois dans le Parc du Mercantour.
Les différents problèmes liés à ce type de maladies peuvent être d'ordre
- environnementaux (par rapport à la conservation et la protection des espèces sauvages)
- économiques et sociaux (par rapport aux différents acteurs concernés, notamment les chasseurs).
Pourquoi s'intéresser à la KCI ?
En savoir un peu plus sur la KCI ....
Le
problème de transmission de maladies entre espèces sauvages et espèces
domestiquées touche beaucoup d’élevages, puisque les moutons sont
souvent la cause de la contamination des populations sauvages.
Découverte
pour la première fois en 1926 en Suisse, la kératoconjonctivite
infectieuse (KCI) existe maintenant dans le monde entier.
La
Cécité du Chamois n’ayant pas encore causé de grosses pertes en France,
contrairement à la Suisse, certaines habitudes « à risques »
subsistent, comme par exemple le dépôt de pierres à sel au milieu des
troupeaux qui attirent les Chamois. Cependant, tout changement dans les
pratiques d’élevages doit être appréhendé dans sa globalité et toutes
les conséquences doivent être réfléchies au préalable (le fait d’enclore
les moutons pourrait nuire à la biodiversité des milieux non pâturés
par exemple).
Cette
maladie provoque de graves conséquences notamment sur les populations
de chamois : l’épidémie de 2008-2009 sur le Canton du Valais en Suisse a
tellement affectée les colonies de chamois, que même 3 ans après
l’effectif n’est toujours pas reconstitué ! [1]
La
KCI est une maladie émergente dans le Parc. Elle risque de se
développer et causer de graves problèmes comme en Suisse si des mesures
ne sont mises pas en place.
Lors
des grandes épidémies (1926, 1991, 2008, 2009), le taux de chamois
atteints par la maladie (ou taux de morbidité) était de 95% mais le taux
de mortalité, variable entre les régions, oscillait entre 5 et 30%. [2]
Malgré les guérisons spontanées de certains ongulés (84% des animaux qui seraient dues à une 1ère
infection qui permettrait la production d’anticorps) la maladie est
toujours présente. Les moutons et, plus récemment démontré, les
bouquetins sont les réservoirs de l’agent pathogène : en Suisse, une
étude sur la séroprévalence des moutons a montré que 90% des 123 moutons
testés portaient la bactérie et 50% était atteints de KCI. [4]
Les
animaux porteurs-sains assurent le maintien de la maladie et des
contaminations, plus particulièrement pendant les périodes de
transhumance. Cependant, il est difficile de dénombrer les animaux
réellement atteints. En effet ces derniers ont tendance à s’isoler du
reste du troupeau. De nombreuses études scientifiques sont toujours en
cours sur ce sujet pour trouver les origines (indépendantes du nombre de
chamois) et les facteurs qui favorisent les épidémies ainsi que pour
trouver un moyen pour vacciner les animaux malades.
En savoir un peu plus sur la KCI ....
Il
s’agit d’une maladie bactérienne qui n’est pas transmissible à l’homme.
Cette maladie n’est pas réglementée c’est-à-dire qu’il n’y a pas de
besoin de déclaration obligatoire ni de mesures de police sanitaire. [5]
L’identification bactérienne
Les
mycoplasmes sont des bactéries qui ne sont pas protégées par une paroi
rigide et possèdent un génome de petite taille (~580kb). Elles ne sont
pas identifiables par la coloration de GRAM et elles sont difficilement
cultivables sur milieu gélosé, seul un milieu complexe enrichi en sérum,
rendu sélectif par la présence de pénicilline, antibiotique auquel
elles sont insensibles.
Ainsi, l’élaboration d’un vaccin est difficile.
Les colonies sont très petites et ont un aspect d’œuf au plat. [6]
Le diagnostic se fait maintenant par les techniques de PCR à partir de la séquence d’ADN de la région variable du gène IppS,
qui code une lipoprotéine antigénique (qui provoque la production
d’anticorps dans l’organisme atteint). Cette région a été sélectionnée
car elle reste identique au cours des générations successives d’une même
souche. Le test ELISA peut également être effectué. [7]
Symptômes de la KCI avec les différentes phases
La bactérie Mycoplasma conjunctivae a
été isolée à plusieurs reprises dans des échantillons des sera
lacrymaux des animaux domestiques et sauvages. Il existe 16 souches de M.conjunctivae mais celle identifiée chez les moutons et les chamois en Suisse est la HRC 581. [12]
L’infection par cette bactérie se traduit par :
- Atteinte d’un seul œil (infection unilatérale) puis le 2ème est infecté rapidement (infection bilatérale).
-Conjonctivite
suraigüe avec une photophobie importante, un écoulement lacrymal
abondant (épiphora) et un chémosis (œdème de la conjonctive) se
traduisant par un bourrelet de forme circulaire situé autour de la
cornée. Ce stade dure 2 à 3 jours.
- Etat
de l’œil évolue vers une conjonctivite folliculaire. A ce stade, l’œil
peut guérir mais souvent son état s’empire : ulcères, kératite bleue et
surinfections bactériennes. Les animaux deviennent alors aveugles.
La cécité provoque des troubles du comportement :
Photophobie importante, isolement du troupeau, l’animal arrête de se nourrir, il tourne en rond jusqu’à épuisement.
Les animaux chutent des falaises ou alors meurent de déshydratation. [8]
Les réservoirs de l’agent pathogène
Des analyses de sera lacrymaux de moutons qui ne présentaient pas les symptômes de la KCI ont révélé la présence de M.conjunctivae.
En effet, la bactérie peut survivre dans le sac conjonctival pendant
plusieurs mois. L'organisme peut également être présent dans les narines
des animaux ce qui provoque les réinfections dans un troupeau.
L’inoculation expérimentale de l’agent pathogène à des bouquetins sains a
montré que ces derniers pouvaient également être porteurs sains du
mycoplasme. [9]
Modes et périodes de contamination
La
KCI se transmet très facilement entre les différentes espèces
phylogénétiquement proches. Les parcs nationaux sont les lieux
privilégiés de cohabitation entre espèces domestiques (moutons, chèvres)
et sauvages (chamois, bouquetins).
Voies de transmission
M.conjunctivae
se transmet très facilement au sein des troupeaux. Elle ne survit pas
longtemps dans l’environnement. Ainsi la transmission s’effectue soit
par contact direct ou soit après un court laps de temps.
Les
contaminations intraspécifiques s’effectuent essentiellement par
contact alors que dans les contaminations interspécifiques, les
Mycoplasmes se transmettent par aérosol et par les mouches qui se posent
sur les yeux. Les contacts physiques entre les espèces sauvages et
domestiques sont relativement rares.L’écoulement lacrymal excessif attire les insectes car c’est une source de protéines, de sel et d’eau. L’habitude alimentaire des mouches est de changer constamment d’hôtes, ce qui favorise la contamination.
4 genres de Muscidae ont été identifiés comme vecteur de la KCI : Hydrotaea,Musca, Morellia et Polietes.
Les pics de mortalité des chamois ont été observés en été et en
automne, mois durant lesquels les animaux sauvages partagent les pâtures
avec les moutons. [10]
Infection au niveau cellulaire
La structure des mycoplasmes leur permet d’adhérer aux cellules épithéliales.
Le motif RGD (Arg-Gly-Asp) de la lipoprotéine T (LppT), localisée sur la membrane de M.conjunctivae, est responsable de l’adhésion de la bactérie aux cellules du tissu synovial, au niveau des intégrines β.
Seule la production d’anticorps dirigés contre LppT par l’organisme hôte inhibe la liaison de l’agent pathogène. [11]
Prévalence de la KCI
Les
femelles et les chamois juvéniles sont les plus atteints par la KCI :
en effet, les chamois mâles vivent en solitaire, ce qui réduit la
possibilité de l’infection et sont davantage chassés. [12]
Traitement de la maladie
L’unique
traitement trouvé à ce jour pour soigner les moutons de la KCI est
l’utilisation d’antibiotiques à large spectre : tétracyclines,
benzathine-cloxacilline, association spiramycine-oxytetracycline. [13]
Le
remède traditionnel du berger est « de faire passer un fil de laine à
travers l’oreille du mouton (pour « activer le nerf optique ») puis de
donner un sucre dissout dans de l’eau, appliquée sur les yeux, 4 fois
par jours pendant 2 semaines ». Ce remède n’est pas garanti par le corps
vétérinaire. [14]
Ce qu'apportera notre projet ...
Nous souhaiterions réaliser un questionnaire d’enquête
auprès des différents acteurs en lien avec la maladie : les
gestionnaires du parc, les bergers, les scientifiques (vétérinaires et
chercheurs), la population locale habitante du parc.
A
travers cette enquête, nous mettrions en avant l’état de
sensibilisation et de connaissance de cette maladie ainsi que leur
implication dans la limitation de la propagation.
Avec
les scientifiques, nous aborderons des questions sur la maladie : la
prévalence de la KCI, sa localisation et ses évolutions spatiales (les
différentes zones touchées) et temporelles mais également, explication
de la guérison des animaux, des facteurs favorisant le développement des
épidémies.
Nous
pourrons étudier le territoire d’occupation des chamois, la
cohabitation entre les chamois et les moutons sur des territoires avec
les gestionnaires du Parc et les chasseurs.
Nous
pourrons aussi demander comment se passent les transhumances (présence
de chiens de bergers bien dressés, enclos, présence du berger ou non).
Ces
deux grands ensembles de questions seront mis en relation (lien entre
les zones de pâturage et le développement de la maladie par exemple).
Nous
souhaiterions éventuellement aller sur le terrain et pour assister à un
comptage des animaux malades, et ainsi, avoir un état des lieux récent
de la maladie.
Les objectifs de notre projet sont :
- Analyser les données statistiques obtenues par le Parc pour révéler des tendances.
-
Faire prendre conscience : les éleveurs ont-ils conscience de la
maladie ? Prennent-ils des précautions pour limiter la propagation de la
maladie ?
- Réaliser un état des lieux : quel est l’état de connaissance de la maladie des différents acteurs.
-
Proposer des mesures pour limiter la propagation de la maladie chez les
animaux sauvages (enlever les blocs de sel qui attirent les chamois,
les modalités de la transhumance, envisager la présence permanente d’un
berger, étudier le rôle du chien, mise en place d’enclos, isoler les
moutons malades du troupeau et les soigner, surveiller le troupeau en
alpage...)
-Rassembler les différents acteurs pour leur faire partager les résultats de notre enquête.
Ces initiatives nous permettront de mieux répondre aux questions soulevées par un tel projet :
Quels dangers (et pour qui) la cohabitation entre espèces domestiquées et espèces sauvages présente-t-elle ?
Quelle solution peut-on apporter afin de respecter au mieux les attentes des acteurs concernés ?